Dictionnaire de l’écrivain – A comme Auteur

La notion d’auteur est assez tardive dans l’histoire littéraire. Les copistes, les imprimeurs et les traducteurs jouaient autrefois un rôle aussi important que celui de l’auteur en découpant ou en modifiant le texte d’original. Les libraires eux-mêmes se faisaient éditeurs et il n’existait pas de différence entre l’édition à compte d’éditeur et l’édition à compte d’auteur comme aujourd’hui.

À partir du 19ème siècle, tout se met en place : le métier d’éditeur se sépare de celui de libraire, les auteurs deviennent les propriétaires de leurs écrits, ils bénéficient de droits d’auteurs, etc. Ce qui a changé, ce n’est pas la spécialisation des métiers du livre ou l’apparition d’un syndicat d’écrivains, mais le développement de la notion de propriété dans la société, et plus précisément, celle de propriété intellectuelle dans l’arsenal du droit.

Cette propriété intellectuelle fixe l’œuvre dans sa version « définitive ». Elle acquiert un respect similaire à celui des Bibles que les moines copistes devaient réécrire sans erreur, sous peine de tout recommencer. Dans sa version publiée, le texte est rééditable ad infinitum, y compris en numérique. La rupture est consommée avec le conte oral qui pouvait être repris et modifié par le locuteur (nous dirions aujourd’hui « l’interprète »).

Est-ce pourtant fini du jeu des réécritures ? Pendant des siècles, les spécialistes de génétique textuelle (on parle aussi de critique génétique) collectionnaient les manuscrits autographes, les différentes versions d’un texte, les corrections de Balzac sur le texte imprimé, les ajouts de Victor Hugo dans la marge, les dessins d’Antoine de St Exupéry, les lettres d’intention des auteurs, les erreurs typographiques, etc. C’est devenu plus difficile avec les romans écrits sur ordinateur. Il peut encore exister une génétique du texte si l’auteur sauvegarde les versions précédentes sous un nom différent, ou en mémorisant son plan, ses notes sur WriteControl ou Scrivener, par exemple.

L’informatique permet également à l’écrivain de tout écraser, tout effacer, ne plus laisser derrière lui que le texte envoyé à l’éditeur. L’écrivain peut dévorer la genèse son œuvre. Il peut même, comme Rimbaud, demander à un ami de brûler ses premières poèmes (ce qu’il n’a pas fait). Car l’écrivain, en tant qu’auteur, sait qu’il a la propriété intellectuelle de son œuvre et souhaite jouir de cette propriété comme bon lui semble.

Mais l’écrivain, justement, est-il le seul auteur de son livre ? L’image de l’écrivain est tellement auréolée de gloire (certains se souviendront de la file d’attente devant la librairie Coiffard pour une dédicace d’Amélie Nothomb…) qu’on a l’impression que tout commence et finit avec lui. Le livre est son « bébé », son « bijou », sa « création ». Ce n’est pas faux si l’on écoute l’écrivain parler de son roman.

Pourtant, et on le lit parfois dans les remerciements, l’écrivain n’écrit pas seul, il se fait relire, recueille des conseils, des informations… Avant d’être publié, un livre passe dans les mains d’un correcteur d’orthographe, d’un comité de lecture, d’un éditeur, avant de revenir dans celle de l’auteur une dernière fois. Avant d’être réédité, un livre bénéficie parfois d’une préface, quand ce n’est pas d’une relecture intégrale. Dans ce cas, elle intègre, dans sa nouvelle version, l’évolution de l’auteur et les critiques que celui-ci a pu recevoir après la première publication. Sans compter que l’écrivain, avant même d’écrire, a commencé par lire les romans de ses prédécesseurs. Il n’hérite pas seulement d’un corpus littéraire, il est également soumis aux clichés et aux règles du « genre ». L’auteur, sans le vouloir, s’intègre dans la collection que souhaite développer un éditeur, qui lui-même s’intègre dans un courant littéraire, dans une histoire du roman au 21ème siècle.

Tout cela doit nous rendre plus humble et nous rappeler que le terme d’auteur est avant tout une notion juridique. C’est la confusion de la notion juridique d’auteur avec l’écrivain fabriquant son œuvre qui amène certains auteurs à prendre des « nègres » ou « ghost writers » en anglais (c’est également ce qu’a fait Jules Verne avec la complaisance de son éditeur Hetzel pour les Cinq cents millions de la Bégum) et d’autres à signer des contrats à compte d’auteur, en pensant gagner une plus grande maîtrise de leur œuvre. L’éditeur, en effet, se trouve dans une situation délicate vis-à-vis de l’écrivain qui lui soumet un manuscrit : ce n’est pas lui qui a écrit l’œuvre, et pourtant, c’est lui, par le contrat d’édition, qui fait l’auteur. Cela explique sans doute les propos très durs tenus par Céline à l’encontre des éditeurs, comme une forme de défiance à leur encontre.

Le terme « auteur », en conclusion, ne doit donc pas se confondre avec celui d’écrivain, qui renvoie non seulement au travail d’écriture mais aussi au métier d’écrivain. Le mot « auteur » renvoie plutôt au statut d’auteur défendu par la Société des Gens de Lettres (SGDL). L’auteur est à ce point éloigné de l’écrivain qu’il peut devenir une « marque » à part entière. Une œuvre à succès peut être adaptée au cinéma, en BD, en audiolivre, etc. Ces transformations successives éloignent l’œuvre de la littérature, en tant que telle. L’écrivain n’est plus. En revanche, l’auteur reste inchangé.

Se présenter comme « auteur » ou comme « écrivain » n’est pas anodin : cela révèle votre apport à la langue, à la littérature, et votre projet de carrière, la diversité de vos goûts artistiques.

Damien Porte-Plume

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