Dictionnaire de l’écrivain – B comme Brouillon

Les écrivains n’écrivent pas de brouillon. Le terme est impropre. Si l’écriture peut être « brouillonne », on ne trouvera pas de « brouillon » chez Hugo, Balzac ou Maylis de Kerangal, par exemple. Ils écrivent un « manuscrit », même si celui-ci est un « tapuscrit » tapé à la machine. Il existe évidemment des étapes préparatoires, des plans, des fiches de personnages, des références chronologiques, des notes sur des lieux, des idées, mais de brouillon, il n’y a pas.

Zola prenait des photographies, procédait à de véritables enquêtes sur les lieux de ses romans. Flaubert, Lovecraft, Raymond Chandler, Patrick Manchette, J. R. R. Tolkien, Arthur Miller et bien d’autres entretenaient une correspondance assidue. Simenon écrivait quelques noms sur une enveloppe, il écrivait donc ses idées sur un rectangle de papier. Est-ce cela qu’on pourrait nommer brouillon ? Bernard Werber réécrit des dizaines de fois ses textes sur son ordinateur, il s’agit de différentes versions numériques du même roman ou d’un roman qui s’étoffe et s’affine ; ce n’est pas un brouillon non plus.

Certes, un auteur peut écrire « au brouillon » dans un cahier ou un carnet, avec un crayon à papier et une gomme, si on veut, mais ce texte ressemble au bloc-notes du reporter, c’est le fameux carnet Moleskine d’Antoine de Saint-Exupéry. C’est un aide-mémoire autant qu’un outil de travail, pas un brouillon.

Quand l’auteur présente son manuscrit à un éditeur, il ne dit pas : « voici mon brouillon ». On suppose que le texte a été retravaillé et qu’il tend vers la version la plus aboutie de lui-même, ce que l’écrivain pouvait faire de mieux sans le retour de son éditeur. Par la suite, on parlera d’épreuves et de BAT ou Bon À Tirer pour l’imprimeur. Le livre, enfin, sera publié, et on n’aura jamais entendu parler du fameux brouillon.

D’où vient cette confusion ? Certains logiciels ont un bouton pour « enregistrer le brouillon » mais cela ressemble à un anglicisme. Ce n’est pas français ; ce n’est pas correct. De même, on utilise souvent le terme « brouillon » pour parler de la version non publiée d’un texte. En ce sens, le terme « brouillon » devient synonyme de « manuscrit ».

Le terme de « manuscrit » comprenant aussi bien le texte écrit à la main que celui tapé à la machine, on utilise parfois le terme de « brouillon » pour parler du manuscrit autographe. Le « brouillon » vient ainsi combler la place vacante par l’extension du mot « manuscrit », qui était devenu trop imprécis. Le « brouillon » désigne bien quelque chose par défaut, mais peut-on se satisfaire d’une définition « par défaut » ?

En peinture, on parle plutôt d’esquisse. C’est une idée qui s’esquisse, un halo qui prend forme, une silhouette de femme ou d’éléphant qui apparaît. L’écriture a ce pouvoir-là. « Un écrivain procède à des esquisses », ce serait déjà plus juste comme expression, mais il n’écrit pas de brouillon.

Damien Porte-Plume

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