J’ai rencontré… Boris Akounine

Retour sur l’entretien avec l’écrivain Boris Akounine du jeudi 28 mai 2015 à la librairie Durance, présenté par Alberto Manguel, directeur artistique du festival Atlantide, animé par Jean-Michel Daniau, avec la présence d’un traducteur (dont je ne vois le nom mentionné nul part).

Boris Akounine, de son vrai nom Grigori Chalvovitch Tchkhartichvili, est l’inventeur du roman policier historique russe. L’un de ses personnages fétiches, Eraste Fandorine, effectue ses enquêtes dans le vaste territoire de la Russie à la fin du 19ème siècle jusqu’au début des années 1900. C’est écrit avec beaucoup d’humour et de nombreux clins d’oeil aux romans russes et aux héros de la culture populaire, comme Sherlock Holmes.

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A propos de culture populaire, Boris Akounine explique avoir fait le projet d’écrire volontairement dans un genre qui n’était pas pris au sérieux dans les milieux littéraires : le roman policier.

Boris Akounine comprenait les questions posées en français, répondait en russe et faisait régulièrement des pauses pour permettre au traducteur de faire son travail, mais quand celui-ci se trompait, il le rectifiait en français ! Même si Boris Akounine pouvait tenir une partie de la conversion en français, les organisateurs ont préféré passer par un traducteur pour que les nombreux russophones de la salle puissent apprécier les réponses de l’auteur dans leur langue.

Je me permets de reformuler de mémoire la teneur de cet entretien de mémoire :

AM – Votre pseudonyme, si je me trompe, est d’origine japonaise, une culture qui vous appréciez beaucoup ?

BA – Oui, je voulais toucher un public populaire et je ne voulais pas qu’en entrant en librairie, il soit obligé de demander : « Auriez-vous un livre de Grigori Chalvovitch Tchkhar… Tchkhartchi… oh et puis zut ! »

JMD – Vous êtes universitaire, traducteur, à quel moment avez-vous décidé d’écrire ?

(Boris Akounine a répondu de deux manières à cette question)

BA (1ère réponse) – Lors de la crise de la quarantaine (rires). J’étais peut-être à mi-chemin de ma vie, je me suis demandé ce que je voulais faire des quarante prochaines années. Le plus simple était de faire la même que j’avais toujours fait, de continuer mon activité de traducteur. Cette perspective m’a horrifié. Alors je me suis demandé dans quoi j’étais doué. J’étais à l’aise avec les mots, alors je devais trouver quelque chose d’autre où j’utilise la langue et j’ai trouvé écrivain.le-gambit-turc-403591

BA (2ème réponse) – En fait, je n’ai pas écrit tout de suite. J’étais directeur d’une revue littéraire et j’avais des amis écrivains. Je voulais développer le roman policier en russie. J’ai demandé à mes amis d’écrire des romans policiers, mais mes amis, s’ils ont beaucoup de talents, sont aussi paresseux. Comment fait-on pour écrire une intrigue policière ? m’ont-ils demandé. Alors je leur ai écrit une intrigue. Je pensais que le contrat était clair : j’écrivais l’intrigue, ils écrivaient le roman. Mais ils n’ont rien écrit. Alors je leur ai montré comment faire, j’ai écrit le roman. C’est comme ça que je suis devenu écrivain.

JMD – Avez-vous eu du succès tout de suite ?

BA – Mon premier livre n’a pas marché, alors j’en ai écrit une deuxième. Il n’a pas eu de succès non plus. J’en ai écrit un troisième, un quatrième… Il n’avait toujours pas de succès, alors mon éditeur en avait assez. Je me suis dit que j’écrivais un cinquième roman des enquêtes d’Eraste Fandorine et que j’arrêtais là la série. Sauf que ce livre est devenu best-seller en Russie. Du coup, tous mes précédents livres sont devenus aussi des best-sellers. J’ai arrêté mon travail et depuis… je ne travaille plus !akounine-avant-fin-du-monde

JMD – Vos personnages sont plutôt passifs…

BA – C’est le cas dans deux de mes romans, pas dans les autres.

JMD – Vous adressez-vous à un type de public particulier ?

BA – Il existe 16 personnalités, même si certaines personnes peuvent prendre de plusieurs personnalités. Avec le temps, on finit toutefois par recroiser le même type de personnalités. J’ai écrit mes romans en fonction de ces personnalités, je voulais écrire 16 romans du cycle de Fandorine pour les 16 types de personnalités. Il y aura donc 16 romans. Quand ce sera fini et qu’un lecteur me dira que son livre préféré est celui-ci mais qu’il déteste celui-là, je pourrai savoir son type de personnalité.

JMD – Vous êtes machiavélique.

BA – Si vous le voulez, nous pouvons aborder un sujet technique. Il y a quelques années, il y a eu une crise du livre en Russie. Des librairies fermaient tous les jours. C’est au moment où la vente de livres papiers diminuaient que la vente de livres numériques a augmenté. D’ailleurs, mon dernier livre s’est plus vendu au format numérique qu’au format papier.

(Une participante) – Mais les livres numériques peuvent être copiés, les auteurs ne touchent pas de droits d’auteur.

BA – Quand je disais que mon dernier livre s’était plus vendu au format numérique, je ne parlais que des ebooks téléchargés légalement. Les Russes ont un problème avec la loi, ils pensent qu’elle n’est faite que pour l’embêter… et ils ont souvent raison. Le téléchargement illégal est inévitable, les voleurs seront toujours plus malins que les policiers… et c’est justement pour cela qu’ils seront pendus. Il existe une classe moyenne russe qui veut être civilisée, ils sont prêts à acheter le livre numérique s’il n’est pas trop cher. Il y a une règle en Russie, c’est celle de la bouteille de bière. Si l’ebook est plus cher que la bouteille de bière, ils n’acheteront pas. S’il est moins cher, ils peuvent l’acheter. Il y a trois conditions pour que le livre numérique fonctionne : 1) il doit apporter quelque chose de plus que la version papier ; 2) son prix doit être abordable ; 3) l’achat du livre numérique doit être facile, en 1 clic. S’il faut remplir de nombreuses informations sur son adresse, sa carte bancaire, etc. les personnes continueront à télécharger car c’est plus simple.

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JMD – Vos propres livres sont publiés également en version papier. Ils sont agrémentés d’illustrations qu’on ne trouve pas dans la version française (Nota : à l’exception du livre « Histoires de cimetière » publié aux éditions Noir sur Blanc).

BA – Le livre papier tel qu’il existe aujourd’hui, et en particulier le livre de poche, est condamné. C’est pourquoi l’éditeur publie mes livres à la fois en version papier et en version numérique, mais la version papier comporte des illustrations et la version numérique apporte quelque chose de plus que la version papier, comme des illustrations différentes. Ainsi, une personne qui a acheté le livre papier pourra ensuite acheter le livre numérique poiur compléter, car ils sont différents. Mes livres sont plus chers que les autres à cause des illustrations, mais ce sont de beaux livres qui peuvent être offerts. L’avenir du livre papier, ce sont de beaux livres, avec du beau papier, une bonne odeur, un bruit agréable quand on tourne les pages. Les éditeurs russes ont pris ce tournant. En Russie, le capitalisme est jeune, et les jeunes savent prendre plus de risques que les autres.

JMD – Vos livres sont emprunts de beaucoup d’humour, on le voit aussi dans cet entretien. Vous amusez-vous aussi quand vous écrivez ?

BA – Oui, beaucoup. Quand j’étais petit, j’aimais changé les lettres de place pour voir les mots qu’ils produisent. Je suis toujours intéressé par cet aspect esthétique. Dans la littérature de fiction, ce que je préfère est ce jeu avec la langue. Quand je cherche du sens, je fais plutôt vers d’autres livres.

(Une participante) – Quand vous est venu le goût de la lecture ?

BA – Quand j’avais quatre ans, il fallait faire une sieste en début d’après-midi. Je n’ai jamais aimé dormir en début d’après-midi, je n’y arrivais pas, c’était un supplice. Une grande de six ans m’a appris à lire et m’a donné le goût de la lecture. Je lisais pendant que les autres dormaient.

JMD – Lisez-vous beaucoup ?

BA – Non, j’écris et je n’ai plus le temps de lire de fiction. Je lis encore quelquefois les romans de mes amis écrivains (Nota : l’un d’eux était présent dans la salle), mais ils ne publient pas souvent, tous les deux-trois ans.

AM – Vous avez un intérêt pour les méchants charismatiques, est-ce que vous retrouvez ce caractère chez Poutine ?

BA – Je ne trouve pas Poutine charismatique. Je ne le trouve pas non plus méchant.

JM – Pour autant, vous n’êtes pas d’accord avec la façon dont évolue la société russe.

BA – J’ai déjà dit que je me sentais comme un homme à l’esprit clair au milieu des gens ivres. J’ai décidé de ne plus vivre en Russie, je vis en Angleterre avec une maison à Saint-Malo.le-monde-entier-est-un-theatre

(Moi) – Pourquoi l’Angleterre ?

BA – C’est une question indiscrète à poser à un écrivain. C’est très intime le choix du lieu où l’on est à l’aise pour écrire. Je ne sais pas pourquoi l’Angleterre. Je sais que j’ai trouvé un endroit à Saint-Malo où j’ai acheté une maison. Quand je vivais en Russie, il y avait un endroit où je passais régulièrement, cela m’aidait à réfléchir… J’ai essayé d’autres endroits. J’aime beaucoup l’Italie, mais je ne pourrais pas écrire là-bas (rires).

(Une participante) – Un de vos livres a-t-il été adapté au cinéma ?

BA – Plusieurs de mes livres ont été adaptés au cinéma en Russie, mais étant donné le contexte avec l’Europe, ils ne seront pas diffusés ici. Toutefois, j’ai signé récemment avec une chaîne anglaise pour l’adaptation des enquêtes d’Eraste Fandorine. Cela tombe bien, car j’aime beaucoup les films historiques en costumes anglais (Nota : des Anglais ?). En général, je suis déçu, car les films n’arrivent pas à rendre la même chose que dans les livres, c’est trop différent. Mais ça fait vendre…

(Un participant) – Une dernière question : dans ce cas, y aura-t-il encore un livre de vos livres adapté au cinéma ?

BA – Il y en a déjà trois en cours.

– Damien Porte-Plume

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